>Mon frère point com

Texte de José-Nicolas Binette

Bon. Tu me demandes d’écrire de quoi sur mon frère, je cite : « une de vos réflexions, sur la vie, sur lui, sur cette relation que vous avez avec lui. »

J’ai beau virer ça dans tous les sens, je ne trouve rien de pertinent à dire. Pas qu’il ne me vienne absolument rien à l’esprit quand je pense à la vie ou à mon frère ou à ma relation avec lui. Pas du tout. C’est la forme qui me laisse perplexe : un billet qui sera publié sur lfb40.com.

Ne te méprends pas, je me sens privilégié d’être « de la très courte liste de personnes très proches qu’il aimerait qui participent à ces billets ». Ah! Tu vois! C’est même lui qui le demande!

Tsé, je comprends que mon bro est un gars entier. Il a toujours été comme ça. Entièrement dans ce qu’il faisait. Impliqué à fond, le brud. Ça, couplé à une intelligence foudroyante, ça fait de lui qu’il est bon. Très bon. Dans tout ce qu’il touche. Et là, ce que je comprends de ses derniers moves (dont la récente mitose de f. & co en créatures indépendantes du Créateur), c’est qu’il veut dorénavant se concentrer sur son image de marque, que le produit qu’il veut développer n’est autre que lui-même. Plus de boîte, plus d’emballage. Ce que vous obtenez, c’est du Louis-Félix Binette 100% pur, sans sucre ajouté, bio et équitable à part de ça.

Je ne remets pas en cause son intuition, non plus. Au contraire, je pense qu’il est right on the fucking money (pour parler français de Montréal). Pas de doute que « c’est de même ça marche à c’t’heure » (c’est de même que ça dirait à Québec). Non plus que je doute qu’il ait sérieusement la tête de l’emploi. Le gars qui s’imbibe complètement comme une éponge dans tout ce dans quoi il trempe, jusqu’à ce qu’il ne reste plus la moindre petite bulle d’air. On ne pourrait lui imaginer une voie qui soit plus la sienneque ça. – Que fait Louis-Félix ces temps-ci? – Ça, assez précisément. Le sujet est l’objet, l’agent le patient, l’instrument l’expérient, la source le but, la cause l’effet… C’est « Fiat Lux! », comme dirait l’autre.

La totale! Peut-on faire plus entier que total?

Je pourrais même aller jusqu’à avancer que mon frérot fait partie d’une poignée de visionnaires qui pavent la voie d’une nouvelle façon d’exister, qui recherchent de nouvelles façons d’être au monde, d’être en relation avec le monde. Qui cherchent à se réapproprier le monde, à y trouver leur place et à s’y émanciper. À refaire ce putain de monde à leur image.

C’est pas mal là le plus loin que je pourrais me rendre, pour ce qui est du pitch publicitaire. Ça reste brut, y’aurait moyen de soigner la formule, de rendre ça plus sexy. Mais ça impliquerait aussi d’enlever tout ce qui accroche, ce qui est pas propre. Or, si d’une part, je ne suis pas du tout certain en ce moment même que j’enverrai un billet – car, comme disait Lao-tseu :

L’enseignement sans parole
L’efficace du non-agir,
Rien ne saurait les égaler

– reste que, d’autre part, mon charabia a au moins le mérite d’être spontané. Et quand on a quelque chose à vendre, ça vend beaucoup mieux quand ça vient du coeur, mais c’est quand même préférable de laisser passer le beau et de garder le moins joli pour soi. Sois sincère, mais dans les limites du présentable, ok? C’est bien de cela qu’il s’agit, non? D’une opération de communication? Poster des billets sur lfb40.com, les partager sur les réseaux sociaux, profiter de son anniversaire comme leverage pour une levée de fond… C’est audacieux, non conventionnel, ça bouleverse le sens commun. Et c’est bien de com qu’il s’agit. Même si c’est pour une bonne cause, ça reste une opération marketing.

Et c’est là que j’interroge la pertinence de ma contribution. Je ne vois pas en quoi je peux contribuer à l’image de marque de Louis-Félix Binette. Mon frère point com. Je crois qu’il s’en sort déjà très bien sans moi. Et si c’était ça l’idée, ça m’agacerait, à vrai dire. Ça m’agace, donc. Je l’admets. Pas assez de vouloir attirer toute l’attention, il voudrait que je l’y aide? Mmh. Il ne fait certainement pas ça pour bénéficier de mon réseau : je n’en ai pas. Je suis sur sa short list, c’est certainement pas pour sauver les apparences, c’est parce qu’il m’aime, j’aime autant en être convaincu. Mais cette sincérité publique, cette médiatisation fraternelle me trouble. Je ne sais tout simplement pas quelle posture adopter. Qu’attend-il de moi, au juste? À qui je m’adresse, ici? Tsé, gang, j’ai rien à vendre. J’ai rien de particulièrement intéressant à dire à personne, vous voyez bien.

Exister totalement, être totalement soi, s’impliquer totalement de toute sa personne dans ses projets, faire un travail qui est en pleine résonance avec soi-même. Ça implique-tu de ne pas exister hors de la business, d’être tout le temps en affaires avec tout le monde, les amis, la famille, la blonde? Je lance la question là, je ne condamne pas. Prends-le pas d’même. C’est une réflexion. Je réfléchis. À la vie, à mon frère, à ma relation avec lui. Incarnée juste ici.

Essayons une autre approche : si je vends mon image, soit : a) il existe une discontinuité dans mon intégrité – l’image ne correspond pas entièrement à ma personne, même partiellement sincère elle reste un mensonge – soit : b) il s’opère une réduction de ce que je suis et de ce que je peux devenir – si je conforme sincèrement mon existence à mon image, je m’interdis toute existence hors de son cadre fonctionnel. Il faut choisir : mensonge public ou authentique résidu?

Et c’est ce qui m’inquiète avec ce nouveau monde. L’image y prend juste beaucoup trop de place. Mais le plus inquiétant, c’est la terrible sincérité avec laquelle on l’adopte. Juste de penser au glissement de sens que subissent, depuis à peine dix ans, des mots aussi essentiels qu’ami, aimer, partager… moi, ça me glace le sang.

Période de questions

Ou bien est-ce que c’est juste parce que le seul moyen de se retrouver, c’est de le faire en travers d’autres activités? Ça vient d’où, cette nécessité d’amalgamer tout ensemble? C’est pour avoir l’impression de vivre pleinement? C’est une question de productivité? Si c’est le système qui l’impose (rappelle-toi McLuhan : l’hybridation technique, c’est précisément le mode de reproduction de la technologie), est-ce qu’on n’est pas en train de s’assimiler à la logique opérationnelle de la machine? De se mettre à son service, de se soumettre à ses impératifs? Ou c’est une façon de résister? Ou bien c’est juste comme ça que t’arrives à canaliser ton hyperactivité?

***Bonus

Mais malheur à l’apprenti géomètre!
Qui, prenant le langage à rebours
Confond les représentations avec la réalité :
Le point avec le grain de sable et l’étoile
La ligne avec l’horizon
Le cercle avec le firmament
Le globe avec la Terre
Qui se reconnaîtra en son image
Et ses semblables en la leur
Qui mettra toute la valeur dans le nombre
Car celui-là s’éloignera de la vie
N’existera plus qu’en abstraction
Croira produire en raisonnant
Pendant que le monde s’effondre
Prisonnier de la métaphore
Et puis encore un autre
Sous la pulsation du quartz
Les puces s’activent
Envahissant les villes
Infestant les maisons
Parasites invisibles
Qui sucent l’énergie
S’agrippent à la peau
Et dévorent
Quantum
Par quantum
Les esprits

Bonne fête, bro! Oui, oui, c’est sûr que j’aime Louis-Félix Binette. Mais je t’aime, aussi.

Pis toutes les autres, donnez généreusement :
https://laruchequebec.com/projet/solidarite-pour-haiti-3635/

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